Il n’est pas rare qu’un client nous demande de signer un contrat de confidentialité. Cela semble aller de soi, donc vous signez, cela ne pose pas de problème?
Il semble évident que vous n’allez pas raconter à tous vos voisins qu’un plan de licenciement collectif est prévu dans la grande entreprise «SUPERMARKT» (pour laquelle l’une de vos voisines travaille comme caissière).
Confidentialité et vol
Mais qu’en est-il de la sécurité de votre ordinateur? Il peut être volé, avec pour conséquence la divulgation d’informations confidentielles ou secrètes qu’il contient.
Il faut aborder ce cas de figure selon l’angle bien connu du «bon père de famille». Qu’aurait fait un autre traducteur dans la même situation?
J’ai épluché la jurisprudence (c’est à cela que les avocats passent leur temps). J’ai trouvé un arrêt concernant une voiture qui avait été volée chez un garagiste, alors qu’elle était en réparation. Un vol est un vol me direz-vous. Ce pauvre garagiste ne peut rien y faire, non? Le juge a pourtant estimé que le garagiste était responsable car il devait prendre les précautions nécessaires pour empêcher, de façon radicale, que les clés et le véhicule soient conservés ensemble. Le garagiste n’a pas pu prouver que le système d’alarme était branché et qu’il fonctionnait. Il n’a donc pu invoquer la force majeure pour ce vol.
Cette jurisprudence nous permet de déduire que la force majeure peut être invoquée, à condition de prouver que vous avez agi avec prudence.
Vous êtes-vous déjà posé les questions suivantes?
- Votre réseau est-il sécurisé?
- Où se trouve votre ordinateur pendant vos congés?
- Faites-vous régulièrement des back-ups? Où les conservez-vous?
- Utilisez-vous une dropbox?
- Travaillez-vous dans le «cloud»?
- Conservez-vous une clé USB contenant des informations confidentielles dans votre sac à main ou accrochée à votre porte-clés?
- Votre ordinateur est-il suffisamment protégé contre les virus? Que signifie «suffisamment» protégé?
- Laissez-vous la porte du jardin ouverte quand vous allez acheter un pain?
- Votre porte d’entrée est-elle sécurisée?
- Possédez-vous un système d’alarme?
- Laissez-vous vos enfants jouer sur votre ordinateur avec leurs amis?
- Votre compte est-il protégé par un mot de passe?
- Quel est le niveau de sécurité de votre mot de passe? Est-ce le nom de votre enfant?
- Utilisez-vous le même mot de passe pour tout?
- Tenez-vous une liste de vos mots de passe et si oui, où la conservez-vous?
Le principe du bon père de famille impose qu’en votre qualité de traducteur professionnel, vous abordiez les choses avec la prudence requise. Le même degré de prudence n’est toutefois pas attendu de quelqu’un qui arrondit ses fins de mois en pliant du courrier que d’un traducteur financier qui traduit des communiqués de presse sensibles et conserve sur son ordinateur des informations qui seront dévoilées ultérieurement. Ou encore d’un traducteur qui effectue régulièrement des traductions pour le parquet dans le cadre d’instructions (marquées du sceau du secret) et qui a connaissance de l’arrestation imminente d’une bande de trafiquants de drogue.
Il ne m’appartient pas de vous dire que vous devez installer une porte d’entrée blindée chez vous ou que vous devez ranger votre ordinateur portable dans un coffre à la banque lorsque vous partez en vacances. En fin de compte, c’est le juge qui estimera si vous avez agi prudemment ou pas. Si vous pouvez prouver que vous avez pensé à toutes ces questions, vous êtes déjà bien avancé.
Les mesures de sécurité contractuelles convenues avec vos clients (protection contre les virus, etc.) doivent être respectées. Si vous vous engagez par un contrat et que vous perdez des informations parce que vous n’avez pas respecté vos engagements, vous êtes en effet contractuellement responsable.
Quid des documents que vous ne pouvez consulter à l’avance parce que «leur contenu est trop sensible»?
Quid s’il s’avère par la suite qu’il s’agit de matériel illicite? Quid si vous avez conclu un contrat de confidentialité? Avez-vous une obligation ou un droit de parole? Avez-vous un droit de réserve ou le droit au silence? Êtes-vous obligé de signaler à la police une chose dont vous pensez qu’elle est illégale?
D’après le site Internet du SPF Justice, en votre qualité de citoyen, vous êtes légalement obligé de signaler tout délit dont vous êtes témoin contre des personnes (p. ex. une attaque en rue), contre des propriétés (p. ex. un vol) ou contre la sécurité publique (p. ex. un attentat).
Que faire dans le cas de blanchiment d’argent? Ou de trafic de drogue? Si vous avez des doutes, il est sans doute préférable de consulter un avocat. Ils sont tenus au secret professionnel, de sorte que vous pouvez leur exposer ce que vous voulez.
Pour être claire: aucun avantage ne peut être tirée d’une situation qui était illégale dès le début (le principe de «nemo auditur propriam turpitudinem allegans», oui, je sais, c’est long. Cela signifie «Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude»). Un criminel qui subit un dommage parce que vous vous êtes rendu à la police qu’en votre qualité de traducteur ne peut exiger de dommages et intérêts à votre encontre.
Disclaimer: ceci est un premier avis donné avec une connaissance limitée du dossier et non pas un conseil juridique concret dans le cadre d’une procédure.
Nous remercions Pascale Pay pour la traduction bénévole.